[DOSSIER] Mobilités dans les services funéraires : un chantier qui n’a toujours pas commencé

L’envolée des prix de l’énergie est aujourd’hui inédite. Plusieurs raisons à cela : de mauvais choix d’aménagement du territoire, des difficultés d’approvisionnement (guerre en Ukraine, rebond économique rapide postpandémie) et une insuffisante capacité de production énergétique en Europe. Dans ce contexte, la spéculation joue à plein et accentue le phénomène. Les travailleurs subissent cette hausse de plein fouet.

Si des politiques publiques en matière de mobilité durable, de rénovation énergétique, de préservation du pouvoir d’achat sont indispensables, pour la CFDT, les employeurs ont aussi une responsabilité en la matière.

Il est aujourd’hui décisif d’accélérer la négociation de plans de mobilité durable dans les entreprises pour trouver des alternatives à la voiture individuelle.

Car le tout-voiture est aussi source d’exclusion sociale. Un quart des Français auraient renoncé à un emploi ou une formation faute de moyen de transport, selon un sondage Elabe publié en 2016. Et l’inaccessibilité des véhicules à faibles émissions, dont les vertues écologiques sont d’ailleurs très discutables, n’arrange rien.

Une enquête de l’Observatoire Société et Consommation (Obsoco) publiée en 2018, a révélé trois grands profils d’automobilistes : 29% sont complètement captifs de la voiture, qu’ils utilisent quotidiennement ; 18% cherchent à l’utiliser moins, et 31% aimeraient changer de mode de transport mais ne savent pas comment faire. Ce qui les bloque : ne pas avoir la perception du choix. Et finalement, prendre sa voiture, symbole de liberté, est plus souvent vécu par eux comme une contrainte. Au contraire, le trajet à vélo est un moment plutôt bien apprécié et facteur de bien-être.» 

Mais même si la législation incite les entreprises à prendre à bras-le-corps la question du transport, leurs pratiques peinent à évoluer. C’est pourtant l’un des piliers de la Responsabilité Sociétale et Environnementale dont pourraient s’emparer les employeurs.

Par exemple, le plan de mobilité (PDM) avait été rendu obligatoire par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015. Or, une étude réalisée par l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) en 2018 révèle que sur les 17 348 établissements concernés par loi de 2015, seuls 8 % se sont conformés à la réglementation. La moitié des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), auprès desquelles les employeurs doivent déposer leurs plans, disent ne pas connaître le nombre d’entreprises tenues de leur fournir ces plans sur leur territoire. C’est dire si les mentalités doivent évoluer. Défaut d’information diront les uns, manque d’intérêt diront les autres. C’est souvent grâce aux équipes syndicales qui sont à l’initiative que ces plans de mobilité voient le jour, pour offrir de réelles améliorations aux salariés. On a déjà constaté que dans les entreprises qui ont adopté l’indemnité kilométrique vélo négociable depuis 2015, il y a 70 % de cyclistes en plus et 15 % d’arrêts maladie en moins… à méditer.

Puis est arrivée la Loi d’Orientation des Mobilités de 2019, offrant aux employeurs, et donc aux salariés, des leviers d’action sur le pouvoir d’achat dont ils ne disposaient pas.

Depuis la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), les entreprises du secteur privé sont encouragées à inciter leurs salariés à utiliser des transports plus propres (vélo, covoiturage, engins de déplacement personnels en location ou en libre-service, autopartage avec des véhicules à faibles émissions…). Le décret du 9 mai 2020 a mis en place le « forfait mobilités durables ». Renommé « titre-mobilité » par le décret du 16 décembre 2021 (loi Climat), ce titre peut prendre la forme d’une solution de paiement spécifique, dématérialisée et prépayée. Il permet de faciliter le remboursement par les employeurs des déplacements de leurs salariés. Ce titre peut inclure la « prime transport » et le « forfait mobilités durables ».

Le forfait mobilités durables : il peut aller jusqu’à 800€ par an et par salarié en étant exonéré d’impôt et de cotisations sociales notamment lorsqu’il est cumulé avec un abonnement de transport en communSi un employeur donne plus de 800 euros, la somme complémentaire est soumise à cotisations et impôts que le salarié devra déclarer comme revenus.

La prime-transport : prise en charge par l’employeur des frais de carburant du salarié si sa résidence habituelle ou son lieu de travail est situé en dehors de la région Ile-de-France et d’un périmètre de transports urbains ; si l’utilisation d’un véhicule personnel est rendue indispensable par des conditions d’horaires de travail particuliers ne permettant pas d’emprunter un mode collectif de transport. L’exonération de cotisations est admise dans la limite annuelle de 400€. Cumulable avec le forfait mobilités durables dans la limite globale de 700€ en 2022 et 2023 par an et par salarié.

Depuis le 1er janvier 2020, la LOM impose par ailleurs aux entreprises de plus de 50 salariés travaillant sur un même site d’insérer un volet mobilités dans les négociations annuelles obligatoires (NAO).

De tels accords, qui exigent un dialogue social de qualité, sont un moyen concret de diminuer le poids de l’énergie dans nos budgets et de réduire l’ampleur du dérèglement climatique.

Et dans les services funéraires ?

En pratique ce volet n’apparait toujours pas dans les NAO des entreprises du secteur funéraire en 2022. OGF, Funecap, ou encore d’autres d’entreprises de taille intermédiaire (où certes le dialogue social est déjà compliqué, comme chez Dabrigeon), les établissements funéraires publics, qu’ils soient constitués en régies, en SEM ou en SPL, sont tous à la traîne sur ces dossiers. Bien sûr nos équipes syndicales ont souvent défendu des augmentations générales pour les plus bas salaires dans ces négociations. Le principe de réalité en a fait une priorité dans des entreprises où les salaires stagnaient depuis 10 ans. Mais nous n’oublions pas ces problématiques : à quoi riment ces augmentations liées à la valeur du travail si de l’autre côté il nous coûte de plus en plus cher d’aller travailler ?

Des entreprises ou des fédérations d’employeurs qui communiquent régulièrement sur leur engagement environnemental comme les Pompes funèbres Caton ou l’UPFP, pourraient montrer l’exemple sur ces sujets de mobilités à l’égard de leurs salariés.

Mais si les chaînes d’approvisionnement se verdissent, à n’en pas douter, les salariés ne sont clairement pas une priorité dans cette démarche. La CFDT demande l’ouverture de négociations sur ce sujet. Le patronat se fait attendre.

patronat qui pédale sans avancer

Pourtant, dès 2019, le bureau d’études Iter, qui travaille avec l’ADEME affirmait : « les gains sont nombreux: offrir à ses salariés la possibilité de se déplacer dans de bonnes conditions contribue à limiter l’accidentologie, très élevée sur les trajets domicile-travail (plus un trajet en voiture est régulier, plus la vigilance baisse), mais aussi le turnover, la fatigue. Cela facilite les recrutements et améliore le bilan RSE, auquel il est de plus en plus difficile d’échapper.»

Est-ce réaliste et réalisable dans notre branche ?

Assurément. D’aucun pourrait nous opposer trop facilement que les horaires de travail d’une activité aussi aléatoire que la nôtre justifieraient de se passer de ces mesures d’aides. Mais ce serait regarder dans le mauvais bout de la lorgnette.

Nous en revenons au problème majeur de notre secteur : la planification et l’organisation du travail.
A nouveau devons-nous céder à la sacro-sainte activité qui jusque-là a conditionné les salariés à tout accepter, y compris le sacrifice de leur vie personnelle contre l’ultra-disponibilité pour la famille d’un défunt ? N’est-il pas cohérent de se dire que le service dans un dépôt commence et finit à une heure précise et relativement fixe/prévisible ? N’y a-t-il pas déjà des organisation de travail à revoir en profondeur là où par exemple dans certaines zones les directions n’hésitent pas à envoyer des équipes à l’autre bout d’un département là où il était possible de mobiliser des personnels plus proches ? Et quand bien même cela ne serait pas possible, sommes-nous tellement en manque d’imagination pour mettre en place en interne des covoiturages domicile-travail ou d’autres solutions de mobilités ?

Enfin, justement dans les cas où les horaires de travail ne le permettent pas, la LOM offre la possibilité de la prime transport comme nous l’avons vu plus haut (qui concerne aussi les employés travaillant ou résidant dans des communes non desservies par les transports publics). L’employeur peut dans ce cas de figure et dans le cadre d’un plan mobilité rembourser les frais de carburant (jusqu’à 400 € par an et par salarié, cumulable à 700€ avec un forfait mobilités durables). En effet, il devient de plus en plus inéquitable de voir les salariés en zone rurale échapper à toute aide alors que d’autres salariés citadins travaillant en agence à horaires globalement fixes peuvent s’ils le souhaitent bénéficier de 50% de prise en charge de leur abonnement en transport public.

Pour le moment, l’urgence ne se fait pas ressentir, mais ces épisodes de pénuries questionnent nos modes de fonctionnement à long terme. A quoi servirait-il que les corbillards soient prioritaires dans les stations-services, si les salariés n’ont plus les moyens d’embaucher pour venir les conduire ?

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